Vers Pékin...
Extrait du dossier de présentation :
« Un deal est une transaction commerciale portant sur des valeurs prohibées ou strictement contrôlées, et qui se conclut, dans des espaces neutres, indéfinis, et non prévus à cet usage, entre pourvoyeurs et quémandeurs, par entente tacite, signes conventionnels ou conversation à double sens — dans le but de contourner les risques de trahison et d’escroquerie qu’une telle opération implique —, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, indépendamment des heures d’ouverture réglementaires des lieux de commerce homologués, mais plutôt aux heures de fermeture de ceux-ci. » (Koltès)
Le Client et le Dealer, deux personnages marquants dans le théâtre contemporain, forment un couple aussi inséparable que le maître et son valet. Le destin les a liés l’un à l’autre, sans qu’il y ait une possible échappatoire. Le Dealer naît du désir du Client, tout comme le Client n’est désir que parce que le Dealer existe.
Qui désire le plus ? et que désire-t-il le plus ?
Dans notre quotidien, tout est devenu l’objet d’un deal. Rien qui n’échappe à notre désir. Tout est sujet à faire exister un manque. Dans cet inéluctable face à face où, tour à tour, nous sommes Client et Dealer, les mots de Bernard-Marie Koltès font résonner (je serais presque tenté d’écrire raisonner) ce que nous avons souvent pris soin de refouler au plus profond de nous ; parce que nous ne pouvons nous en libérer, nous avons choisi de l’ignorer. En vain. En vain, et c’est pourquoi ce désir même s’il n’est jamais donné explicitement par Koltès, ce désir nous est familier. Tellement familier.
J’ai pris le parti de ne pas représenter le texte dans un rapport frontal avec le public. Ce dernier n’est pas spectateur de cette tractation qui se déroule entre le Client (Sifan Shao) et le Dealer (Régis Maynard) : il aurait très bien pu être l’un ou l’autre. C’est pourquoi le jeu évolue au milieu des spectateurs. Parfois pris à parti, parfois réactifs, ils seront totalement intégrés dans l’échange.
Un échange qui se fera en deux langues, le Client parle chinois, le Dealer français. Deux langues, deux univers que les mots de Koltès, écrits en 1986, n’avaient pas forcément rapprochés l’un de l’autre. Aujourd’hui, en 2011, nous sommes « orientés » vers cette Chine qui nous fascine. A laquelle nous donnons. Et qui nous donne. Le désir est là, toujours indicible, et tellement vrai.
« C’est pourquoi je m’approche de vous, malgré l’heure qui est celle où d’ordinaire l’homme et l’animal se jettent sauvagement l’un sur l’autre, je m’approche , moi, de vous, les mains ouvertes et les paumes tournées vers vous, avec l’humilité de celui qui propose face à celui qui achète, avec l’humilité de celui qui possède face à celui qui désire ; et je vois votre désir comme on voit une lumière qui s’allume, à une fenêtre tout en haut d’un immeuble, dans le crépuscule » (Koltès, Dans le solitude des champs de coton, éd. de minuit, 1986)
Olivier Massis (metteur en scène).